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Un baume sur les blessures

Le rire caractéristique de Nana (incarnée par une Rita Lafontaine magistrale) fait l’effet d’un baume sur ses blessures.

Un baume sur les blessures

Publié le 12/02/2010

La musique se fait solennelle, imposante. Et pour cause: le rideau du Théâtre Lionel-Groulx s’ouvre sur une vue imprenable du Paradis! C’est dans ce lieu de repos éternel, aux nuages représentés par des chaises blanches flottantes, que l’on retrouve avec plaisir le personnage de Nana, alter ego théâtral de la mère de Michel Tremblay. Écrite pour souligner le 40e anniversaire des Belles-Sœurs, Le Paradis à la fin de vos jours met en scène Rita Lafontaine dans un monologue à la fois drôle et touchant, incroyablement vivant, dirigé par Frédéric Blanchette.

Un peu trop loin à la droite de Dieu, installée pour l’éternité entre sa mère et sa belle-mère, Nana est «parkée sur son nuage» depuis 45 ans. Elle nous livre d’emblée sa déconfiture face à l’endroit, dénonçant avec ironie les promesses du clergé et de la Bible, la naïveté des croyants et leur perception du Paradis. Revendiquant et attendant sa part de bonheur éternel, Nana trouve le temps bien long. Aussi, c’est en se rappelant ses souvenirs qu’elle se distrait, partageant avec nous ses réflexions colorées sur sa vie d’en bas comme celle d’en haut.

L’humour est omniprésent dans les récits de Nana, sa perspicacité et sa répartie sont savoureuses, particulièrement lorsqu’elle raconte sa tante Amanda, «vrai reproche ambulant». Mais transpirent aussi une certaine amertume et une grande tristesse à travers les mots de cette femme éprouvée par la vie, mais aussi par la mort, car l’existence au Paradis semble être une espèce de cercle vicieux où l’on ressasse sans cesse sa vie après l’avoir vécue. Émouvante d’une douleur sourde, Nana relate les derniers jours de ses enfants emportés à l’adolescence par la tuberculose, rendant du même coup un bel hommage à sa propre mère.

Mais le rire n’est jamais loin des larmes avec Nana, elle qui a toujours préféré I Love Lucy aux déboires de Donalda. Le défaut de langage du vendeur de chez Guimont, les mésaventures de Gertrude avec son tordeur, la malédiction de l’ange de carton et même la mort de sa mère aux suites d’une indigestion de blé d’Inde sont autant d’anecdotes imagées que Nana raconte comme si elle les revivait. Son rire caractéristique fait l’effet d’un baume sur ses blessures, allégeant habilement les moments les plus dramatiques sans en diminuer l’impact émotif.

Mais malgré sa volonté de se concentrer sur ses souvenirs joyeux, Nana se sent prisonnière de son coin de Paradis, en colère contre un Dieu qui n’a encore jamais daigné se montrer. Tentant d’échapper à ce «parking sans fin de nuages», elle lui criera sa façon de penser avec verve et humour malgré la sincérité de son courroux. La dernière image avant la tombée du rideau est superbe: Nana exulte, dans une lumière de plus en plus blanche, sous une douce chute de neige, finalement entendue par le Créateur.

L’ovation finale est longue et nourrie pour une Rita Lafontaine magistrale, dont l’interprétation vivante et pleine d’émotion a su toucher tout un chacun, suscitant la nostalgie chez les uns et la réflexion chez les autres.