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Histoires de pêche

Bertrand Dugas, Robin-Joël Cool et Éric Butler, dans Le filet.

Histoires de pêche

Publié le 03/03/2009

L’Acadie déchirée par les conflits de pêcheurs et l’épuisement des ressources, les émeutes de Shippagan en 2003, le désespoir, l’appât du gain, l’appel de la mer… Voilà la trame de fond de la pièce Le filet de Marcel-Romain Thériault pour le Théâtre populaire d’Acadie et mise en scène par Michel Monty.

Anthime, le patriarche, Léo, le fils oublié, Étienne, l’idéaliste se battent et débattent, se manipulent, s’influencent dans ce huis clos microcosmique à l’atmosphère suintant le chantage et la cupidité, reflet des troubles de toute une région. Représentant le chalet familial, le décor en forme de cube est fermé sur trois côtés et même au plafond, ce qui traduit bien l’ambiance étouffante dans laquelle évoluent les protagonistes.

La famille Chiasson possède un crabier depuis plusieurs générations, de premier-né en premier-né. Elle est le clan le plus puissant d’Acadie, tramant à gauche et à droite des plans plus ou moins honnêtes pour conserver son monopole. Mais Anthime se fait vieux et doit bientôt déléguer la gestion de l’entreprise. Son premier fils né étant décédé, il rapatrie son petit-fils Étienne, qui termine ses études à Montréal, pour prendre les rennes, malgré son inexpérience et son absence d’intérêt pour le crabier. Léo, le second fils qui a mené sa barque d’une main de fer, se sent bien évidemment lésé dans ses droits, plein de ressentiment pour cette coutume folklorique de l’héritage direct. Conflits de générations, amertume, manipulation et larmes refoulées sont au menu de cette réunion familiale forcée, où chacun est convaincu d’avoir raison. Les rapports sont teintés d’incompréhension alors qu’Étienne, pris au piège, revendique le droit de disposer de sa vie comme il l’entend, cependant qu’Anthime ne jure que par l’héritage de la lignée et que Léo ronge son frein, sombrant peu à peu dans une sombre folie.

Le jeu des comédiens est authentique, crédible et juste. L’intégrité, le désir d’affranchissement et l’idéalisme d’Étienne sont rendus avec sincérité par Robin-Joël Cool, tandis qu’Éric Butler est convaincant dans la peau écorchée d’un Léo d’une infinie tristesse sous ses dehors méprisants et durs. Bertrand Dugas propose quant à lui un Anthime nuancé, touchant lorsqu’il s’adresse à sa défunte épouse ou qu’il tente des rapprochements avec son petit-fils, mais redoutable en matière de commerce et de gestion, prêt à tout pour sauver une entreprise qu’il aime de tout son cœur. Tandis qu’Anthime et Étienne tissent des rapports complices, Léo se sent plus que jamais laissé pour compte. Ourdissant un complot aux conséquences funestes pour s’emparer de la place qu’il croit sienne, son amertume prend des proportions démesurées pour une conclusion des plus inattendues. En effet, la prise d’otage et l’explosion finales (!) semblent avoir été trop subtilement annoncées pour les appréhender, les craindre, ce qui a provoqué un silence déconcerté au parterre lors de l’extinction des projecteurs… Les trois comédiens sont cependant chaleureusement applaudis, eux qui ont incarné avec beaucoup d’émotion et de sensibilité les membres de cette famille aux orgueils qui se heurtent, aux fiertés bafouées, aux vieilles rancœurs qui rendent les cœurs malades.