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Somptueux, mais un brin figé

Photo Yves Déry

Somptueux, mais un brin figé

Publié le 06/05/2011

Quel Desjardins (Richard de son prénom) préférez-vous? Soit dit entre nous, il en existe au moins trois, dont celui qui s’amenait avec son arsenal symphonique, samedi dernier, sur la scène du Théâtre Lionel-Groulx (TLG).

En fait, on devrait parler d’un orchestre de chambre, soit une trentaine de musiciens issus de la Sinfonia de Lanaudière et représentant les quatre familles d’instruments, tous répondant aux inflexions d’une baguette tenue par Gilles Bellemare. C’est ce monsieur, par ailleurs, qui signe les arrangements symphoniques des chansons de Desjardins qui roulent désormais en carrosse doré au cœur d’un évènement musical qui n’est pas exempt de somptuosité.

Quand on a découvert et aimé spontanément, au tournant des années 1990, celui des trois Richard qui s’accompagnait lui-même à la guitare et au piano, le choc est aussi inévitable que le réflexe de comparer.

Or, le Desjardins remis au monde par l’album Tu m’aimes tu? amenait un vent de fraîcheur sur la chanson québécoise, l’artiste semant les coups de foudres sur la route des bars et des petites salles en livrant des prestations délicieuses. On le sentait heureux comme un poisson dans l’eau, on découvrait un grand poète, un musicien sérieux doublé d’un cabotin qui pouvait s’arrêter au beau milieu d’une chanson, raconter une anecdote croustillante et passer au couplet suivant, porté par les rires du public.

L’autre Desjardins, une fois son succès assuré, ramène dans son giron ses anciens camarades du groupe Abbittibbi avec qui il produit un album et part en tournée. Sur scène, son plaisir est manifeste, les arrangements sont réussis, les musiciens sont solides, mais on sent qu’il sacrifie au passage une certaine part de spontanéité. Parce qu’il faut bien suivre le tempo. Mais bon, Desjardins est dans son élément, il joue et chante avec ses chums, les retrouvailles sont un succès. On est content pour lui.

Puis arrive ce qui arrive toujours avec les poètes chantants, un jour ou l’autre quelqu’un se met en tête d’adapter l’œuvre, d’en magnifier les contours, bref, le troubadour se retrouve tout d’un coup dans un univers symphonique qu’il ne contrôle pas. Ça donne parfois des résultats heureux. Pas sûr que ce soit le cas, cette fois. Et ça n’a rien à voir avec la musique.

Cette impression ressentie, à l’écoute de l’album Richard Desjardins symphonique, que l’artiste n’est pas à l’aise dans cette formule, m’a semblé s’avérer. D’emblée, l’évidence crève les yeux que Richard Desjardins, dans ce contexte, devient un membre de l’orchestre. Un soliste, il va sans dire, mais une partie de l’ensemble quand même. Ça donne moins de liberté. Ça donne un Desjardins un brin figé, crispé, gauchement penché sur son micro, les mains qui battent l’air en cherchant désespérément une occupation, tellement qu’on a envie de crier: «Donnez-lui une guitare!»

Ça donne un Desjardins qui guette, du coin de l’œil, le signal du maestro avant de se mettre à chanter, qui se retire toujours du petit espace où on l’a confiné chaque fois qu’il y a un espace musical entre deux phrases, qui en revient en cherchant ses mots, le temps qu’il faut pour subir ici et là quelques douloureux blancs de mémoire qu’il est impossible de rattraper puisque l’orchestre joue: une musique magnifique, là n’est pas la question. Mais on est loin de l’œuvre organique des débuts. On est dans le calcul, dans la cérébralité, au détriment du ressenti nous semble-t-il.

Et vous, quel Desjardins préférez-vous?