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Le murmure du public (Une saison dans la vie du PTDN)

Le public joue un rôle actif dans le déroulement immédiat d’une pièce de théâtre. Sur scène: Luc Bourgeois (Max), dans la comédie Les Orphelins de Madrid.

Le murmure du public (Une saison dans la vie du PTDN)

Publié le 14/08/2012

(NDLR) — Nous poursuivons notre série d’articles sur la préparation et le déroulement d’une saison théâtrale au Petit Théâtre du Nord (PTDN).

Une fois qu’on a tout ce qu’il faut, c’est-à-dire un bon texte, un décor, des costumes, un environnement sonore, des éclairages, un metteur en scène et des acteurs, une fois que l’objet théâtral nous semble bel et bien ficelé, qu’on l’a répété, remis en question et maintes fois corrigé, il manque toujours cet élément fondamental, totalement imprévisible, sans qui l’œuvre scénique (ou l’œuvre tout court) ne pourrait exister: le public.

«Le public arrive toujours à un bon moment dans le processus», note la comédienne Louise Cardinal, qui incarne Léa dans Les Orphelins de Madrid, pièce à l’affiche jusqu’au 25 août au PTDN (autour de la table, il y a aussi ses camarades Luc Bourgeois, Mélanie Saint-Laurent et Sébastien Gauthier). Après toutes ces heures de travail en salle de répétition, il devient impératif d’aller se poser quelque part, image-t-elle, pour valider les prises de décisions qui ont jalonné la production.

Dans son essai le plus connu (L’Espace vide), le théoricien, acteur et metteur en scène britannique Peter Brook s’attarde d’ailleurs un bon moment sur le public, auquel il attribue un rôle résolument actif dans le déroulement immédiat d’une pièce de théâtre.

Or, le public de théâtre, et particulièrement celui de la comédie, est un personnage auquel on demande pratiquement le même investissement qu’à un acteur: il doit être branché sur le moment présent, il doit écouter et surtout réagir. «C’est lui qui détermine la rythmique du spectacle», soumet Luc Bourgeois.

Pour dire les choses autrement, une pièce de théâtre demeure un objet malléable qui continue d’évoluer au fil des représentations. Pour toutes sortes de raisons. Il y a l’assurance que prennent les acteurs, non seulement dans leur propre jeu, mais dans leur relation avec les autres interprètes. Des acteurs confortables deviennent tout à coup plus sensibles et créatifs, capables d’ajouter spontanément des nuances qui nourriront leur jeu et celui de leurs camarades. Bref, des acteurs qui bénéficient de conditions idéales deviennent tout bonnement meilleurs. Et le public y est pour beaucoup. Imaginez une conversation avec un interlocuteur distrait, qui semble avoir l’esprit ailleurs. Imaginez le même échange avec quelqu’un qui vous regarde dans les yeux, opine du bonnet, commente, rit, soupire, se fâche. Selon le cas, vous raconterez la même histoire, mais sûrement pas sur le même ton ni avec le même élan.

Les différents publics

On observe par ailleurs que, d’une représentation à l’autre, les publics ont une personnalité propre et curieusement homogène. Ils peuvent se faire discrets, de peur de déranger les acteurs, tout comme ils peuvent réfléchir à voix haute et manifester bruyamment tout au long de la représentation.

Et puisque Les Orphelins de Madrid prévoit quelques plages dramatiques, il arrivera, un soir, que le public s’attardera à cet aspect des choses et offrira une écoute davantage émue qu’amusée. Dans tous les cas, les acteurs doivent lire et sentir le public, comprendre ses réactions et moduler sensiblement leur jeu en conséquence.

Plus est, le public s’approprie le spectacle à un point tel qu’un évènement de l’actualité affectant son humeur peut colorer tout à coup la représentation. C’est arrivé, cet été.  Dans les jours qui ont suivi la tuerie dans un cinéma du Colorado, Luc Bourgeois a constaté que son personnage, Max, un individu pour le moins étrange et animé par moments d’une certaine violence, passait moins bien la rampe, tout à coup. «Max a aussi la naïveté d’un enfant de huit ans. Il a donc fallu, pour un temps, que je mette davantage l’accent sur ce trait de caractère», explique l’acteur.

Commentaires et critiques

Bien sûr, il y aura les commentaires formulés par les proches. Les critiques, aussi. Pour Louise Cardinal, ce sont là des éléments qui, parce que trop subjectifs et si différents, jouent essentiellement sur l’émotif et peuvent mener, parfois, sur de mauvaises avenues. «Il faut lâcher prise et se faire confiance», dit-elle.

En fait, il n’y a rien comme le murmure du public, cette réponse spontanée qui se fait clameur ou soupir, qui dit exactement ce qu’il faut, à distance de l’équivoque, sans jamais s’empêtrer dans les pièges du langage.

Le public du PTDN

Le public du PTDN est âgé entre 30 et 70 ans, mais c’est au début de la cinquantaine qu’on rejoint le noyau des plus fidèles. Ceux-ci sont de plus en plus nombreux, mais pas assez pour remplir la salle à tous les soirs et assurer la rentabilité de l’opération. Le reste du public, plus volatile et fluctuant, n’est jamais gagné d’avance.

«Chaque année, depuis 15 ans, tout est à refaire», souligne Sébastien Gauthier. Il faut savoir que le PTDN s’est donné une vocation bien spécifique en faisant le pari de la création, en été. La volonté de se renouveler continuellement, de ne jamais refaire le même spectacle et d’explorer de nouvelles avenues peut à la limite effaroucher certains amateurs en quête de stabilité.

«Nous n’avons jamais de grande vedette comme tête d’affiche», fait aussi remarquer le comédien. De fait, beaucoup de petites compagnies connaissent bien la recette et savent qu’une personnalité télévisuelle est gage de succès au guichet.

Mais au PTDN, aucune décision n’est prise en fonction du public et c’est une habitude qu’on entend garder, tout comme celle de surprendre chaque fois celui qui compose son noyau dur. Et la formule est éprouvée, puisque ça fait tout de même 15 ans que ça dure.

Les représentations des Orphelins de Madrid se poursuivent et il faut déjà penser à la prochaine saison. Comme quoi la boucle n’est jamais bouclée. Nous en ferons le prochain et dernier volet de cette série.