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«Le courage et la peur n’ont pas de sexe»

Karine Vanasse incarne Valérie, dans le film Polytechnique, de Denis Villeneuve.

«Le courage et la peur n’ont pas de sexe»

Publié le 29/05/2009

Je n’étais qu’une toute petite fille en décembre 1989. Je me souviens d’avoir vu ma mère bouleversée, je me souviens des noms, des fleurs devant les portes de Polytechnique. Sans trop savoir de quoi il retournait, je comprenais que quelqu’un, quelque chose d’une horreur sans nom avait détruit l’équilibre tranquille de cette école, de la société. Du haut de mes six ans, j’assistais de loin aux lendemains de la tragédie, dont les évènements sont devenus pour moi une sorte de légende aux contours un peu flous.

Toutefois, une partie de mon imaginaire a été remplacée par des images d’une clarté brutale, alors que j’assistais à la projection, par Ciné-Groulx, du film Polytechnique de Denis Villeneuve. J’ai pris conscience, dès la première scène, que le drame du 6 décembre 1989 avait réellement eu lieu.

Difficile alors de suivre le sage conseil de l’hôte de la soirée, Frédéric Lapierre, qui a enjoint le public de bien «voir le film comme un film». On anticipe les évènements avec appréhension. Les sons du quotidien deviennent angoissants et le silence, oppressant. Avec impuissance, on assiste à cette tragédie d’une violence inouïe, l’incompréhension nous rivant à notre siège. On suit d’abord le tueur (incarné par Maxim Gaudette), qui n’est jamais nommé, on l’accompagne dans son intimité, dans sa froideur résignée et angoissée. On vit ensuite le drame avec Valérie (jouée par Karine Vanasse), dont l’existence sera bouleversée à jamais, puis du point de vue de Jean-François (Sébastien Huberdeau), qui tentera de venir en aide aux victimes, mais qui terminera abruptement ses jours, rongé par la culpabilité.

Tourné en noir et blanc, avec une grande sobriété, le film prend des airs de cinéma-vérité qui lui évitent de sombrer dans un sensationnalisme déplacé. Suite à ces images percutantes inspirées des témoignages des survivants, le générique défile dans un silence pesant, alors que les noms des victimes se succèdent à l’écran. On prend ces quelques instants bienvenus pour absorber le choc, avant la discussion avec le scénariste Jacques Davidts.

Patient et volubile, ce dernier a le souci de bien répondre à toutes les questions. Parfois plus générales, parfois assez pointues, toutes semblent cependant être posées dans une quête de vérité et de compréhension. Mais, si le scénariste se révèle une mine de renseignements et d’anecdotes après plusieurs années de recherche sur les évènements, il précise toutefois que le film demeure une œuvre de fiction, bien que basée sur la réalité. On aborde la genèse du projet, les conditions de tournage, on s’intéresse aux personnes réelles ayant inspiré les personnages, à l’utilisation du noir et blanc

Mais surtout, Jacques Davidts est bombardé de questions au sujet de Marc Lépine, des raisons qui l’ont poussé à commettre de tels gestes, toutes ces interrogations légitimes étant restées sans explication dans le film. En effet, comme le souligne Jacques Davidts, «c’est par lui que le drame arrive, mais ce n’est pas de lui qu’on veut parler». Le scénariste demeure donc prudent, évitant de s’enfoncer dans la psychanalyse et les jugements précis. Refusant de glorifier les actions du tueur et d’en faire un vilain hollywoodien, il fallait trouver un moyen de montrer les évènements avec justesse, dans un souci de vérité. Ainsi, par les yeux des personnages de Valérie et de Jean-François, on constate que «le courage et la peur n’ont pas de sexe». Ouvrir la communication entre hommes et femmes, provoquer la réflexion sur la place des soins en santé mentale au Québec et le taux de suicide élevé chez les jeunes hommes d’ici, voilà les répercussions que Jacques Davidts et Denis Villeneuve aimeraient avoir générées en réalisant Polytechnique.