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Photo Jean-François Hamelin (courtoisie Théâtre du Rideau Vert)

Les trois interprètes des Fées ont soif, Pascale Montreuil (Marie), Bénédicte Décarie (Madeleine) et Caroline Lavigne (la Statue).

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Photo Jean-François Hamelin (courtoisie Théâtre du Rideau Vert)

La comédienne Caroline Lavigne convie le public «à une pièce marquante» de la dramaturgie québécoise.

Une main tendue aux femmes et aux hommes de bonne volonté

Publié le 20/09/2019

La pièce a probablement marqué l’histoire récente du Québec autant, et peut-être même davantage, à cause du brouhaha qu’elle a provoqué, dès sa création en 1978, que par le message puissant qu’elle portait, alors que le TNM et son directeur Jean-Louis Roux, contre vents et marées, s’entêtaient à présenter la pièce de Denise Boucher, sorte de manifeste théâtral destiné à torpiller trois grands stéréotypes féminins fantasmés par le patriarcat: la mère au foyer, la Vierge et la prostituée.

Refus du Conseil des arts de subventionner le TNM, pressions juridiques exercées par la droite chrétienne du temps, jusqu’à une décision du tribunal qui enjoint à tout le monde de se calmer le pompon. Le processus fut long et, bonheur à celles par qui le scandale arrivait, la pièce fut jouée avec succès, avant d’être pratiquement remisée sur les tablettes du patrimoine.

Une pièce pas comme les autres

Ça, c’était jusqu’à l’an dernier, jusqu’à ce que le Théâtre du Rideau Vert, pour en souligner le 40e anniversaire, décide de remettre Les fées ont soif à l’affiche et d’en confier la mise en scène à Sophie Clément, qui fut de la première distribution et qui a donc constitué un nouveau trio d’actrices: Bénédicte Décary, Pascale Montreuil et Caroline Lavigne.

En entrevue téléphonique, cette dernière, qui incarne la Statue (de la Vierge), convient d’emblée que Les fées ont soif demeure une pièce que beaucoup de gens connaissent… sans l’avoir vue. Que la pièce de Denise Boucher, par ailleurs et pour la femme et l’actrice qu’elle est, n’est pas du tout une pièce comme les autres.

«Dès la première lecture, en fait, j’y voyais une matière poétique à la fois très intéressante et complexe. Et une fois le travail amorcé, qu’on s’est mises à travailler ce texte dense, porteur d’une parole très forte et importante, on a rapidement senti qu’on touchait à quelque chose d’universel, un manifeste, une manifestation, même. Notre plus grande satisfaction, c’est que le public l’a aussi reçu comme ça» , dit-elle en pointant quelques-unes des réserves d’un auditoire qui se demandait, à priori, si la pièce avait bien vieilli, si le discours féministe des années 1970 avait encore une résonnance et une pertinence aujourd’hui. Or, il appert que la réponse est oui, et même si on peut lever le sourcil une fois ou deux, chose certaine, nous dit la comédienne, la communion avec le public confirme que Les fées ont soif arrive enveloppé d’une certaine aura.

À cela nous oserions ajouter que, malgré ce texte très touffu où chaque mot a son poids et chaque ligne son importance, Les fées ont soif n’en demeure pas moins une proposition théâtrale extrêmement digeste. C’est un spectacle esthétiquement réussi (décor sobre, jeu frontal), livré par des actrices talentueuses et inspirées, qui jouent et chantent avec intensité (deux musiciennes les accompagnent sur scène).

Ces chansons aèrent joliment la chose, d’autant plus qu’elles sont fort bien chantées, mais c’est aussi le ton donné à l’interprétation qui permet d’établir cette saine communion avec le public. Dès le départ, l’interprète de Marie, Pascale Montreuil, y va d’une tirade hyper-tragique (à la limite du ridicule), mais se trouve rapidement stoppée dans son envol par le personnage de la prostituée (Bénédicte Décary).

«C’est un choix de mise en scène» , confirme Caroline Lavigne, un choix qui permet d’affranchir le texte d’une certaine surcharge dramatique tout en favorisant un jeu encore plus vrai, sensible et incarné.

Une pièce en trois temps

Ce ton permet justement de mieux accueillir cette parole abondante qui met les réflecteurs sur la condition des femmes qui subissent encore les pressions du patriarcat et toutes les formes de violence. On y observe trois personnages que tout éloigne et rapproche en même temps, du fait qu’elles incarnent tout d’abord ces stéréotypes cités plus haut, cette vision fantasmée de la femme (mère, sainte et putain), avant d’en prendre conscience devant nous, dans un deuxième temps, pour ensuite passer à l’action et s’émanciper, un affranchissement qui se fait en tendant la main autant aux femmes qu’aux hommes.

«C’est très important, cette main tendue, cette façon de terminer sur une note positive, après avoir porté toute cette charge» , estime Caroline Lavigne, qui précise que beaucoup d’hommes qui ont vu la pièce (on s’y fait tout de même décoiffer quelque peu), y trouvent un discours pertinent qui n’est pas forcément agressant ou exclusivement destiné aux femmes.

Les fées ont soif, de Denise Boucher, sera présentée au Théâtre Lionel-Groulx, le jeudi 26 septembre. Pour réserver votre place, visitez le site Web du diffuseur au [http://odyscene.com]. «Ç’a été et ça demeure une pièce marquante. C’est une chance rare qu’elle passe tout près de chez vous, alors venez entendre cette magnifique parole. Soyez de ceux et celles qui pourront dire: je l’ai vue» , invite la comédienne.