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Le Requiem allemand de Brahms: les tourments de l’âme et du cœur

L’Ensemble choral de Saint-Eustache et le chœur et les musiciens de l’OPMEM entonnaient Un Requiem allemand, de Brahms, pour clore leur année musicale. (Photo Yves Déry)

Le Requiem allemand de Brahms: les tourments de l’âme et du cœur

Publié le 01/06/2017

L’Ensemble choral Saint-Eustache plongeait dans les mystères profonds de la mort en offrant à son public Un Requiem allemand, œuvre majeure du compositeur Johannes Brahms (1833-1897) et pièce principale du concert de fin d’année livré à l’église de Saint-Eustache, le samedi 20 mai, puis à l’église Saint-Édouard de Montréal, le lendemain.

Le modeste ensemble à quatre voix, qui dépasse rarement la quarantaine de choristes, avait doublé ses effectifs en accueillant le chœur de l’Orchestre Philharmonique des musiciens de Montréal (OPMEM) et l’orchestre lui-même (sous la direction de Philippe Ménard), ce qui donnait un tout joliment vitaminé, puisqu’une cinquantaine de musiciens prenaient aussi place sur la tribune.

 

En apéro

On leur réservait d’ailleurs leur petit moment, en première partie, avec le cinquième mouvement (rondo allegro) de la Symphonie espagnole, op. 21 du compositeur français Édouard-Victoire-Antoine Lalo (1823-1892) qui donnait surtout la part belle à une jeune violoniste de 16 ans, Béatrice Dénommée, à qui l’on avait confié la partie solo. Celle-ci attaquait avec une belle assurance cette partition très rapide et haut-perchée, qui offrait néanmoins quelques rares moments de répit en forme d’amplitude et de gravité, de quoi nous montrer que la jeune fille pouvait aussi briller en dehors des envolées purement virtuoses.

Auparavant, le chœur s’était échauffé les cordes vocales (manière de parler) avec le Te Deum en do KV141, de Mozart (1756-1791), vif et copieux à souhait, animé et mélodieux comme une pièce… de Mozart, et s’était aussi réservé la Pavane pour une infante défunte, de Maurice Ravel (1875-1937), un chant plaintif et mélancolique que le compositeur lui-même, apprenait-on dans les notes du programme, avait presque renié, jugeant que cette œuvre était «pauvre et sans forme précise». Si l’on s’en tient aux applaudissements nourris qui ont suivi son exécution, le public n’était évidemment pas d’accord avec M. Ravel.

Le Requiem

Cette musique profonde et belle, mieux que de nous mener vers l’entracte, nous aura mis en condition pour apprécier ce qui suivrait, alors que le chœur et les musiciens occuperaient notre attention pour une heure entière au pays de Brahms, un compositeur qui a laissé derrière lui une grande œuvre, somptueuse, grave et enveloppante, des qualités que tous reconnaîtront à ce Requiem allemand qui, avec le concours du baryton Geoffroy Salvas et la soprano Sophie De Cruz, nous aura laissé une vive impression.

On le sait, un requiem est une prière catholique pour les âmes des défunts et celui de Brahms est une pièce colossale qui peut paraître intimidante a priori, aussi bien pour le public que pour le chœur (la durée de l’œuvre et la langue allemande qui ajoutent aux difficultés de la partition), mais une fois la première note lancée, il faudrait être bien grognon pour résister à sa grandeur et sa beauté. Sa puissance, aussi.

L’œuvre se décline en sept mouvements et chacun propose une émotion particulière dont le compositeur semble vouloir explorer tous les contours et les moindres recoins, toutes les subtilités et la moindre résonnance dramatique.

Dans l’acceptation chrétienne de la mort, il y a, bien sûr, tous ces élans de compassion et de consolation, toutes ces promesses de vie éternelle en présence du divin, des thèmes qui sont évidemment exploités dans ce requiem, mais également (et c’est sans doute ce qu’il y a de plus intéressant), cette angoisse, ce désarroi entier qu’éprouvera l’être humain devant la fatalité de la mort.

Ces tourments de l’âme et du cœur deviennent des personnages immenses dans ce Requiem allemand. On sent alors que la foi se heurte violemment aux écueils de la peur. Par moments, cette vaste entreprise musicale nous apparaît comme un effort titanesque pour nous convaincre qu’une fois passés tous ces écueils, une fois arrivés de l’autre côté, nous attend le repos, le bien-être et la félicité. Il faut obligatoirement se mettre dans la posture du croyant pour percevoir un élément de joie dans le passage de vie à trépas, comme il faut sans doute une foi inébranlable pour tolérer l’intolérable. À défaut de quoi, heureusement qu’il y a la musique.