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Le Journal d’Anne Frank: humanité profonde

Dans une mise en scène de Lorraine Pintal

Le Journal d’Anne Frank: humanité profonde

Publié le 10/04/2015

Comme la plupart des adolescents, mon cours secondaire a été marqué par la lecture imposée du Journal d’Anne Frank. Alors toute à mes catastrophes sociales personnelles, je n’ai été, à ma grande honte, que peu touchée par le récit de cette jeune femme pas comme les autres qui aurait dû m’inspirer à voir au-delà de mon nombril.

Je peux cependant affirmer qu’une seconde lecture à l’âge adulte m’a bouleversée, puis une troisième, sous une forme théâtrale imaginée par Eric-Emmanuel Schmitt, m’a tout autant émue. Dans une mise en scène de Lorraine Pintal, Le journal d’Anne Frank était présenté au théâtre Lionel-Groulx, le 4 avril dernier.

La pièce débute une fois la Seconde Guerre Mondiale terminée. Otto Frank, survivant du camp de concentration d’Auschwitz, apprend la mort de sa femme Edith et de ses filles, Anne et Margot. Accusant le choc, il se voit remettre par sa secrétaire Miep le journal intime d’Anne, qu’elle a rédigé alors qu’elle et sa famille se cachaient des Allemands dans un refuge secret baptisé l’Annexe.

D’abord hésitant, il s’y plonge, revivant ses souvenirs et y découvrant une facette réfléchie et profonde «d’Anne le clown» qui, malgré tout, demeure convaincue de la bonté de l’âme humaine, animée par une foi inébranlable en la vie.

Dans une scénographie sur deux niveaux, la cachette des familles Frank et Van Pels se situe en hauteur, ses occupants animés par la lecture d’Otto. En bas, le plancher représente l’usine où il travaille après la Guerre. Les deux paliers figurent donc deux espaces temporels distincts, entre lesquels Otto navigue aisément puisqu’il fait partie des deux segments de l’histoire. Ces univers gris et glauques, enveloppés par la musique de Jorane, sont baignés d’un éclairage verdâtre et parfois, d’images d’archives projetées sur un voile fin.

D’ailleurs, dès son entrée en salle, le public est accueilli par la projection de cheminées fumantes évoquant le sort déjà scellé des personnages dont il s’apprête à faire ou refaire la connaissance. Une autre image, celle d’un Hitler géant avec son bras immense s’élevant dans un salut caractéristique, sa main s’arrêtant juste au-dessus d’Anne, est également percutante et sans équivoque.

Il est cependant possible de rire à l’Annexe, l’insolence d’Anne et les caprices de diva d’Augusta Van Pels empêchant l’atmosphère de s’alourdir. Ce qui y contribue aussi, c’est le jeu de Mylène St-Sauveur, qui insuffle à Anne Frank un juste équilibre de maturité et d’innocence, pimentée d’une pincée d’arrogance adolescente et d’une grande lucidité.

Le Journal, c’est celui de l’exil, des inexplicables horreurs de l’Holocauste, de la misère et de la solitude, mais aussi celui d’un quotidien qui, malgré ses circonstances extraordinaires, peut ressembler au nôtre. Émois amoureux et tensions familiales, manque d’inspiration culinaire et conflits pour l’occupation de la salle de bains, ces événements anodins relatés par Anne ne font que confirmer la réalité historique et la profonde humanité des personnages qui habitent l’Annexe. Ceux dont on connaît le destin inéluctable, mais que l’on espère tout de même voir s’en sortir, par quelque miracle, jusqu’à la toute fin.