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La Déprime: le petit théâtre du monde

La Déprime: le petit théâtre du monde

Publié le 26/03/2015

Lieu de passage, de départs ou de retrouvailles, le terminus d’autobus est un endroit solitaire, désolé, paradoxalement peuplé d’une faune bigarrée. Il y a ceux qui partent et ceux qui restent, ceux qui y travaillent, ceux qui ne font que passer, ceux qui ne font ni l’un ni l’autre, mais y trouvent un remède à l’isolement. De par la myriade de personnages qui le peuple, le terminus est un théâtre en lui-même.

Denis Bouchard, Julie Vincent, Raymond Legault et Rémy Girard ont donc choisi d’y faire évoluer les 51 personnages de la comédie La déprime. Écrite en 1981, la pièce reprend vie avec le Théâtre du Rideau Vert en tournée, et la troupe était de passage au Théâtre Lionel-Groulx, le 20 mars dernier.

La déprime, créée sur fond de blues post-référendaire, demeure ancrée dans son époque, sans concession, par exemple, à l’évolution des technologies. Elle n’en souffre pas, la pièce trouvant plusieurs échos dans l’actualité par les thèmes abordés. Un chauffeur d’abord lésé dans ses droits puis par son syndicat, une mère sans garderie laissant ses enfants au terminus pour la journée, des personnes âgées abandonnées, une danseuse nue exploitée et désabusée. Denis Bouchard en signe cette fois la mise en scène, orchestrant le ballet de la cinquantaine de personnages incarnés par Bernard Fortin, Anne-Élisabeth Bossé, Éric Paulhus et Pascale Desrochers. Leur va-et-vient constant demande un travail d’une grande précision et d’une grande rapidité pour modifier leur apparence tout en conservant un rythme soutenu. Le terminus s’anime joyeusement par les interventions de ses chauffeurs, commis et employés d’entretiens, mais aussi beaucoup par celles des voyageurs, que l’on croise avec humour le temps d’une parenthèse de leur vie.

Dans ce lieu de tous les possibles, certaines de ces situations sont simplement effleurées, alors que d’autres sont approfondies. Les spectateurs sont alors plongés dans la satire, l’absurde ou la fantaisie, s’attachant à ces personnages souvent bien mal pris dans lesquels on se reconnaît sans peine.

L’habileté de l’écriture et l’évitement bienvenu du surjeu, notamment chez les personnages de vieillards ou de personnes atteintes de troubles mentaux, font ressortir la vérité dans la comédie, le probable dans l’exagération. On pense notamment à ces deux vieilles dames faisant le tour du Québec via le réseau des autobus, interprétées avec justesse par Anne-Élisabeth Bossé et Pascale Desrochers, ou encore à la tirade mélancolique de Bernard Fortin, dans la peau du chauffeur Légaré privé de routes à parcourir, ou bien au Réjean d’Éric Paulhus, venu chercher réconfort auprès de la guichetière Sylvie, qui vend les tickets sans jamais aller nulle part.

Alors que le cynisme et l’ironie teintent la plupart des événements, le mariage téléphonique de Paul-Edmond Gagnon, qui  a manqué l’autobus pour Arvida, et la fuite vers la liberté de Légaré et Sylvie, concluent La déprime sur une certaine note d’espoir. Car la pièce est loin d’être aussi sombre que le laisse présager son titre. Elle captive le spectateur par sa cadence effrénée, ses personnages attachants et son humour intelligent.