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La beauté noire, de François Désalliers: dommages collatéraux

Photo Martine Doyon – Avec La beauté noire, François Désalliers signe son dixième roman.

La beauté noire, de François Désalliers: dommages collatéraux

Publié le 09/07/2018

C’est un sombre récit dont on perçoit d’emblée la petite lumière, tout au bout, une histoire de résilience et de questionnements multiples, aussi, que nous propose le romancier thérésien François Désalliers avec ce 10e ouvrage paru en début d’année, sous le titre La beauté noire, aux éditions Druide.

Au centre de l’univers, un événement bête et brutal. Le jeudi 8 mai 2008, à 21 h 32, quelqu’un fait irruption dans un théâtre montréalais pour abattre une comédienne, en pleine représentation, en criant: «Allahu akbar!» . La stupéfaction est totale, la terreur est entière et le deuil sera multiple. Dans ce récit en déconstruction qui s’étend sur 248 pages, le narrateur, Alain Gingras, écrivain et membre de la troupe qui, ce soir-là, jouait Les fleurs du mal, d’après Baudelaire, tente alors de se reconstruire. Il y a perdu l’amour de sa vie et tout à la fois ce qui donnait un sens à son existence.

Ceux qui ont survécu à ce drame en même temps que lui en portent aussi les stigmates invisibles. Plus rien ne sera jamais plus comme avant. L’attentat a aussi fait éclater ce groupe auparavant tissé serré de jeunes gens, «chacun s’est enfermé dans son petit monde» , en lui-même, tentant par ses propres moyens, sinon de trouver un sens à tout cela, du moins de faire un pas en avant.

Parfois, la lumière

On passera évidemment la majeure partie du temps avec le narrateur qu’on verra émerger lentement de son brouillard, vivre «en état d’apesanteur, comme si rien n’existait plus» , le cœur et la mémoire en lambeaux, tenter d’être cohérent dans ce discours intérieur qui tient parfois du monologue théâtral, de l’autocritique et de la remise en question, alors que sa réflexion n’est pas toujours achevée.

À travers ce magma de pensées confuses, la lumière perce parfois quand, un pied dans le présent, l’autre dans le passé, Alain revit en pensée quelques moments de pur bonheur avec Nancy. Celui qui provoque ces réminiscences, c’est Arachide, le petit chat jadis trouvé dans un parc, qui relie Alain à son amoureuse disparue. «Ce que je souhaite, au fond, c’est rester dans la lumière de Nancy» , exprime le personnage.

Par ailleurs, il y aura Lucie, avec qui Alain passera de bons moments à table et au lit («C’était la fin des temps. Il n’y avait rien d’autre. Alors nous nous sommes embrassés» ), une bouffée d’air, une oasis dans ce désert au bout duquel il finira tout de même par retrouver ses camarades de théâtre, encore fragiles et amochés, avec qui, on le devine, les liens se tisseront de nouveau.

Le droit de dire

Le récit est aussi parsemé de maintes citations empruntées à Baudelaire, bien sûr, mais aussi Herman Hesse, Kundera, Beckett et finalement Dostoïevski, dont on évoque l’intrigue de Crime et Châtiment à la base d’un questionnement littéraire qui tenaille l’un des protagonistes du roman de François Désalliers: a-t-on le droit de se faire justice?

A-t-on le droit, aussi, de nommer les choses, de les raconter telles qu’elles se sont passées, sans craindre le ressac de la vérité, en cette curieuse époque dans laquelle nous vivons? Cette question est posée clairement, à la fin de ce très beau roman qui met aussi en relief les vertus cathartiques de l’écriture.

Diplômé du Conservatoire d’art dramatique de Montréal, François Désalliers, nous dit la notice biographique, a été monologuiste, comédien, scripteur, vendeur de meubles et professeur de théâtre. Depuis 1999, il a publié dix romans, dont L’homme-café, Des steaks pour les élèves et La fille du vidéoclub, ce dernier racontant l’amour naissant entre Alain et Nancy.