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Carte Mère: pour bercer l’attente

Avec Carte Mère, Catherine Major propose un cinquième album en carrière.

Carte Mère: pour bercer l’attente

Publié le 04/06/2020

On vous a beaucoup parlé de tout ce qui n’aurait pas lieu, depuis quelque temps, voilà pourquoi il fait bon de signaler cet accomplissement artistique, et pas le moindre, avec la sortie du cinquième album de Catherine Major, qu’elle a réalisé de bout en bout tout en apprivoisant un nouvel outil de travail (l’ordinateur), ce qui lui a permis de retravailler des séquences rythmiques pour les mouler à son élan créateur. Et de composer sans son piano.

L’album s’intitule Carte Mère et contient neuf chansons réparties sur dix plages puisqu’on y retrouve aussi une pièce instrumentale, Sanglot orchestral, qui devait initialement donner son titre à l’ensemble. Mais puisqu’elle s’est installée à la barre du navire et que la chose lui a beaucoup plu, ce nouveau titre a fini par s’imposer. Pour deux raisons. D’abord, parce qu’elle était un peu fatiguée de toujours se retrouver derrière, à l’étape de la réalisation, d’où cette référence à la pièce maitresse de son ordinateur. «Le double sens tient dans le centre de ma vie de mère», dit-elle, ce qui apparaît d’autant plus évident sur la photo illustrant la pochette de ce cinquième opus où on la voit tenant sa petite dernière collée contre son corps, un cadeau du photographe John Londono qui n’était pas destiné à cet usage.

Nouvel outil, même artiste

Avec ce nouvel outil, outre le fait de pouvoir travailler seule et en toute autonomie, Catherine Major a découvert une nouvelle façon de construire une chanson, sans que cela change nécessairement sa façon de composer, dit-elle. «Ça n’enlève pas le piano de ma tête ni de mon cœur. Je garde mon bagage de musicienne classique, harmonique. Je pourrais même composer en écrivant des partitions, mais le piano fera toujours partie de mon âme de compositrice», exprime-t-elle en signalant à juste titre que les chansons de Carte Mère, sinon pour la facture sonore, ne sont pas loin de ce qu’elle fait habituellement.

Ça donne un album somptueux et mélancolique (un état d’âme qui fait partie intégrante de sa personnalité, bien qu’elle se dise parfaitement heureuse), intemporel malgré ses accents résolument modernes, des chansons qui parlent de vie et de mort, d’amour et de foi, de maternité et de sororité (les textes, sauf un, sont de Jeff Moran), des mots qui sont venus se déposer sur des phrases musicales préétablies, dictées par onomatopées et qui se moulent parfaitement au reste, c’est-à-dire à des orchestrations numériques, mais aussi organiques, grâce à la participation du Bratislava Symphony Orchestra.

Elle en a plusieurs, mais l’une de ses plus grandes forces réside assurément dans cette signature mélodique absolument unique, presque atypique, une sorte d’empreinte musicale qui la distingue de ses semblables, remarque qu’elle reçoit comme un compliment. «Je suis consciente autant de mes forces que de mes faiblesse. C’est important, à la fois pour avoir confiance en soi, mais pas trop. Je sais que j’ai la musique en moi. J’ai l’oreille absolue. J’ai commencé si jeune. Quand j’écris des chansons, je cherche toujours à toucher les cordes sensibles, à donner un frisson avec les mélodies et les revirements harmoniques», explique-t-elle, un exercice qu’elle peut pousser encore plus loin quand elle écrit autre chose que des chansons, par exemple de la musique de film.

Au loin, la scène

En temps normal, la production d’un album s’accompagne d’une série de spectacles et Carte Mère ne fait pas exception à la règle, un exercice qu’il faudra remettre à plus tard mais dont les contours sont déjà bien tracés. «Dans ma tête, cet-album-là était sur scène avant même d’être composé. J’imagine un voyage, quelque chose de continu, duquel on ressort à bout de souffle, pratiquement. Un peu comme un spectacle de danse. Sans blabla. Un tout émotif», dit-elle, en s’imaginant debout, livrant au public ses chansons, entourée de musiciens.

Ça finira bien par arriver. Les arts vivants finiront bien par être déconfinés à leur tour. D’autant plus que Catherine Major accueille avec une certaine tiédeur la proposition de la ministre de la Culture d’offrir au public des captations de spectacles devant des salles vides. «Ce n’est pas mauvais, mais tant qu’à ça, j’aime mieux faire des directs sur Facebook», de dire l’artiste qui vit tristement cette période dans laquelle nous sommes plongés et qui ne l’inspire pas du tout sur le plan créatif. «Mais tout finit par nous nourrir. On verra bien», dit-elle.

Dans l’intervalle, et pendant qu’elle commence déjà à réfléchir à un prochain album piano-voix, cette Carte Mère contient tout ce qu’il faut de substance pour accompagner l’attente en nous berçant un peu.