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<em>Belles-Sœurs</em>: jubilatoire et savoureux

Belles-Sœurs est un réel triomphe, un bijou, du bonbon, divertissant au possible sans sacrifier la substance ni la profondeur du texte original. Sur scène : Édith Arvisais (Lise Paquette) et Maude Guérin (Pierrette Guérin).

Belles-Sœurs: jubilatoire et savoureux

Publié le 26/10/2012

Des toiles tendues tachées de peinture, des escabeaux, des meubles recouverts et quelques lampes occupent la scène du Théâtre Lionel-Groulx. Autant d’objets inanimés qui, à l’instar du public, semblent attendre quelque chose avec fébrilité.

Résonnent ensuite les douze coups de théâtre, pratique à la fois obsolète et étrangement réconfortante. Puis, les peintres font leur entrée et rangent leur matériel, révélant la cuisine de Germaine Lauzon. Ils disparaissent ensuite en coulisses, mais on les retrouvera plus tard, avec  ravissement…

Ainsi s’amorce Belles-Sœurs, le brillant spectacle musical inspiré de Les belles-sœurs de Michel Tremblay, mis en scène par René Richard Cyr sur des musiques de Daniel Bélanger. Le mythique «party de collage de timbres» s’arrêtait à Sainte-Thérèse les 19 et 20 octobre, dans le cadre d’une grande tournée Québécoise.

Écrite en 1968, Les belles-sœurs a l’effet d’une bombe sur l’univers théâtral Québécois. Pour la première fois, une quinzaine de femmes prenaient la parole, dénonciatrices, évocatrices, touchantes et révélatrices. En joual, qui plus est, du jamais vu jusqu’alors. Ces femmes étaient nos tantes, nos voisines, nos mères, et elles le sont toujours malgré les quatre décennies qui séparent l’écriture de la pièce et la genèse du théâtre musical Belles-Soeurs.

Texte percutant, à la fois drôle et émouvant, injecté de venin ou d’ironie, joué et rejoué, ce chef d’œuvre de Michel Tremblay est ici revisité de façon magistrale. La réussite est totale, l’œuvre étant portée par une distribution incroyable de comédiennes-chanteuses qui deviennent littéralement ces femmes du Plateau Mont-Royal, ces femmes blessées, courageuses ou amères, comiques, désarmantes.

Leur interprétation est sans faille, chaque comédienne tirant son épingle du jeu dans les scènes parlées et les numéros musicaux, nombreux et rythmiquement variés. Ces derniers s’intègrent au récit avec fluidité, appuyés par des musiciens en direct, qui s’avèrent les «peintres» précédemment mentionnés, apportant une dimension de plus à ce spectacle des plus vivants. Le tout prend place dans une scénographie ingénieuse à deux niveaux, accentuant le côté bien théâtral et dynamique de la mise en scène.

De la lassitude robotique de Maudite vie plate à l’exaspération rigolote de La noce, en passant par le blues ironique et résigné de J’ai tu l’air de quelqu’un qui a déjà gagné queq’chose, on est séduit par les rythmes entraînants, touché par la douce mélancolie du Vendeur de brosses de Des-Neiges Verrette. On rit haut et fort du snobisme exacerbé d’une Lisette de Courval aux manières caricaturales de chanteuse française sur J’ai honte, on devine la détresse de Pierrette Guérin sous ses airs de battante dans Lame noire, Crisse de Johnny et La porte d’en avant, combat partagé par la jeune Lise Paquette, celle-ci à la fois amère et pleine d’espoir. Rose Ouimet révèle le côté sombre de son mariage dans une Maudit cul empreinte  de fiel et de regrets, tandis que Gratis et Ode au bingo, cadencées, sont des moments particulièrement jubilatoires et savoureux.

Belles-Sœurs est un réel triomphe, un bijou, du bonbon, divertissant au possible sans sacrifier la substance ni la profondeur du texte original. On en sort les yeux brillants, le sourire aux lèvres et bien sûr, un air dans la tête.