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La joyeuse parade des clowns tristes

La joyeuse parade des clowns tristes

Publié le 07/04/2009

Que dire de plus sur Broue, ce monument de notre folklore qui roule sa bosse depuis trois décennies?

C’est la question que je me suis posée sur le chemin du retour après la représentation à laquelle je venais d’assister, la 2904e, soit dit en passant. Que pourrais-je ajouter, qui n’avait pas déjà été dit sur ce texte écrit alors que je n’étais même pas encore une idée dans la tête de mes parents? Mais comme une grande partie des spectateurs qui prenaient place au Théâtre Lionel-Groulx ce soir-là, je n’avais encore jamais vu la pièce. Incidemment, tout me paraissait nouveau. Les personnages créés et interprétés par Michel Côté, Marcel Gauthier et Marc Messier prenaient vie devant mes yeux pour la première fois…

Dans la pénombre, les bruits familiers du matin. La lumière se fait lentement, révélant le décor élaboré de la taverne chez Willy, qui donne littéralement l’impression d’être dans un verre de bière mousseuse. Bob vient à peine d’arriver au travail que des coups impatients sont frappés à la porte. Verrue est déjà là, ivre et paranoïaque, victime d’hallucinations. Hervé les rejoint bientôt pour une bière matinale, le stéréotype même du gérant prétentieux mais sans envergure.

Ainsi débute la parade des clowns tristes, personnages pitoyables pour qui l’alcool est toujours la solution et jamais le problème, et pour qui les tenanciers Bob et Bonin jouent patiemment «les psychiatres, mais sans le salaire», jour après jour. Il y a aussi Pointu, le chef pompier devenu trop vieux aux yeux de ses coéquipiers de ballon-balai et qui se voit offrir le poste d’entraîneur par pitié, puis le jeune Léo, émule d’un père pilier de taverne qu’il idolâtre malgré tout. Rod et Louis, qui pour protester contre la fermeture prochaine des tavernes, occupent Chez Willy jusqu’à plus soif, croyant lamentablement tenir des conversations profondes, ou encore Gérard le macho qui, lui seul, semblera avoir une prise de conscience en entendant le cri du cœur de son épouse négligée dans une ligne ouverte à la radio.

Des hommes dont la famille de la taverne a remplacé celle des liens du sang, des hommes qui boivent pour entretenir leurs illusions, des hommes d’une infinie tristesse, au fond, mais dont les frasques nous font paradoxalement rire aux larmes. Interprétés avec un grand sens comique et des expressions faciales hors du commun, les personnages semblent avoir une existence propre, voler de leurs propres ailes tant les comédiens les connaissent bien. Transcendant leurs propres corps et esprits, Côté, Gauthier et Messier, semblent devenir réellement ces buveurs invétérés ou autres clients de passage. Un travail impressionnant, vu le nombre considérable de personnages différents qui peuplent l’univers de Broue. Tout comme les tavernes, les références culturelles et les marques de bière appartiennent au passé, ce qui confère une certaine aura de nostalgie à la pièce. Tel un moment hors du temps, on croirait avoir ouvert une porte secrète donnant sur une autre époque.

Fresque à la fois historique et humoristique, Broue permet une incursion dans un univers exclusif. Mais si l’on s’esclaffe devant les tics de langage de l’un ou les réflexions avinées d’un autre, on ne peut s’empêcher d’avoir pitié de ces hommes éminemment sympathiques, mais rongés de l’intérieur.