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«Les Haïtiennes sont des êtres humains exceptionnels; elles sont le plus gros trésor de ce pays»

En nous faisant parvenir cette photographie (prise bien avant le séisme du 12 janvier), le policier Sébastien Thériault tenait à nous montrer un visage moins malheureux du peuple haïtien.

«Les Haïtiennes sont des êtres humains exceptionnels; elles sont le plus gros trésor de ce pays»

Publié le 02/03/2010

Depuis le 20 octobre 2009, le policier Sébastien Thériault, en poste au sein de la Régie de police Thérèse-De Blainville depuis 2004, est en mission en Haïti avec un mandat jusqu’au 20 juillet 2010. Il était sur place au moment du tremblement de terre du 12 janvier. Avant le séisme, il était assigné à la formation sur le terrain, en collaboration avec l’Académie nationale de police haïtienne. Son rôle: implanter un programme d’agent senior au sein de la police haïtienne. Le jeune policier de 27 ans a accepté de livrer ses impressions et son expérience. Un récit touchant et d’une lucidité remarquable.

Quelle a été votre première impression à votre arrivée en Haïti?

La poussière, les déchets, les odeurs. À notre arrivée à l’aéroport, on est accueilli par l’ONU avec l’armée chinoise, des soldats avec mitraillettes, de gros véhicules militaires avec des armes de très gros calibre. Pour se rendre à notre hôtel pour la première nuit, ces gens forment un convoi comme dans les films de guerre. Les premières heures, on se demande vraiment dans quoi l’on s’est embarqué.

Comment avez-vous vécu le tremblement de terre?

J’ai été très chanceux. Le 12 janvier 2010, j’étais dans la ville des Cayes pour donner de la formation à la police nationale d’Haïti. La terre a tremblé, mais sans faire de dégât. Ce n’est que vers 20 h que nous avons eu l’information de la catastrophe et de son ampleur. Je me suis immédiatement senti anxieux; tous mes collègues à ce moment étaient à Port-au-Prince et je n’avais pas de nouvelles d’eux. Une soirée d’enfer à regarder CNN sans pouvoir confirmer quoi que ce soit.

Le lendemain, notre formation a été annulée; sans possibilité de retourner à la capitale, nous nous sommes greffés à l’équipe de patrouille de la MINUSTAH des Cayes. Une quantité importante de blessés et de sans-abri provenant des zones sinistrées ont commencé à affluer. Après deux jours, l’hôpital était débordé, un scénario d’horreur. Des lits avec des blessés dans tous les coins, sans toit sur leurs têtes, à l’extérieur dans le stationnement. […] Le son est inoubliable, des cris de douleur avec des pleurs sans aucun moment de silence. Et l’odeur, la pourriture, la décomposition, la chaleur, l’humidité; l’odeur de la mort est indescriptible.

Après quatre jours, nous avons eu l’accord du commandement central de Port-au-Prince de revenir à la capitale avec une escorte armée. Un choc!

Mais j’ai pu constater que les Haïtiennes sont des êtres humains exceptionnels; elles sont le plus gros trésor de ce pays. Elles transportent sur leur tête des seaux d’eau que j’ai de la difficulté à lever, et lorsque vous prenez deux secondes pour leur dire bonjour (bonjou), elles vous répondent avec un sourire et des clignements d’yeux.

Avez-vous eu le goût de revenir au pays après le séisme?

Ma conjointe est mon soutien moral dans cette aventure. On a l’occasion de se parler tous les jours par le biais d’Internet ou du cellulaire. Je sais que si j’avais besoin d’elle demain matin, elle viendrait me rejoindre. En fait, je crois que la vraie personne qui vit la mission, c’est elle.

Quel est le souvenir que vous gardez du tremblement de terre?

L’odeur de la mort, le chaos, la désorganisation, l’inconnu, l’impuissance face à l’ampleur de la catastrophe. Un policier canadien a l’habitude de trouver une solution à tous les problèmes. On est habitués d’avoir à notre disposition une panoplie de services publics et d’infrastructures pour nous appuyer. Ici, en Haïti, il n’y a presque rien en temps normal; donc, après le séisme, c’était le néant à des kilomètres à la ronde.

Le séisme n’a pas fait de discrimination: pauvre ou riche, international ou local. C’était une confusion totale. Nous avons perdu deux de nos frères policiers. Des journées de douze heures de travail, puis une nuit à veiller leurs corps et, le lendemain, retour au travail. […] Dans dix ans, lorsque je vais avoir des enfants, je pourrai leur parler de ce qui s’est passé le 12 janvier 2010.

Quel est votre sentiment sur la reconstruction du pays?

Aujourd’hui, Haïti est la saveur du jour, les gens du monde entier se disent les meilleurs amis des Haïtiens. Tous les jours, je vois les Haïtiens dans la rue en train de ramasser les ruines de leur maison. Les membres des armées de différents pays travaillent dans les décombres. J’ai le sentiment que quelque chose de positif va ressortir de tout ça pour les Haïtiens.

Qu’est-ce que vous souhaitez aux Haïtiens?

Je souhaite que les Haïtiens entreprennent d’eux-mêmes leur révolution. Tous les Haïtiens à qui j’ai parlé ont un idéal pour l’avenir de leur pays, mais c’est souvent une sorte de défaitisme qui vient éteindre leurs aspirations. Que les Haïtiens se prennent en main, qu’ils se trouvent un idéal de société et que nous, Canadiens, Américains, Sud-Américains, Européens, nous les soutenions dans leurs projets, et ce, sans aucune arrière-pensée de contrôle ou de zone d’influence, mais bien dans une optique d’entraide.

Quel message voulez-vous lancer au Québec?

Malgré tout ce qu’on peut dire sur leur passivité et leur résilience, les Haïtiens sont une partie de l’humanité qui mérite notre aide. C’est un peuple extraordinaire, fier et avec une joie de vivre sans pareille.