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19 février: ma 8e rencontre avec Lisa

19 février: ma 8e rencontre avec Lisa

Publié le 01/03/2011

C’est presque en me tendant une lettre manuscrite que Lisa me reçoit ce matin-là dans sa chambre.Une missive rédigée pour son médecin, la Dre Lucie Lauzon.

Une lettre touchante où elle lui dit apprécier son côté humain, mais aussi pourquoi, après la méfiance  et la suspicion du début, elle a désormais entièrement confiance en elle. Lisa a des vœux particuliers pour sa propre finalité et souhaite que ceux-ci soient honorés.

En lisant ceci, je m’enquiers à mon tour de ses attentes concernant mes articles. J’ignore sa réaction à la lecture des textes et dans ce contexte très précis où le temps devient si rapide, pressant même, je deviens effrayée à l’idée que je puisse la peiner.

«Valérie, tu ne dois pas t’attacher à moi… Je vais partir, il faut que tu prennes du recul», souffle-t-elle.

Moment de silence.

«Je suis sereine à l’idée de partir. Il faut accepter la maladie, c’est ça qui est important, le plus important. Je suis contente que mon récit puisse aider les gens plus tard, ça me rend heureuse. Tu sais, c’est le message que je veux livrer. Que les gens acceptent leur maladie. Après, ils peuvent accepter les autres étapes. Je ne sais pas si j’ai raison, mais je crois que oui. Ce qui me peine, c’est de voir que certaines personnes sont révoltées par leur maladie, qu’elles ne l’acceptent pas.»

J’écoute Lisa en silence. Et je cogite. J’aimerais continuer à la voir dès que mon reportage sera terminé, c’est-à-dire bientôt.

«Je préfère que tu ne viennes plus me voir après, Valérie», me répond-elle les yeux brillants.

Même si son ton est ferme, je vois bien qu’elle a de la peine en énonçant ce souhait. Les larmes qui coulent sur son visage témoignent d’ailleurs d’un chagrin inattendu. Dans notre cas, c’est le facteur temps qui nous interdit l’éclosion d’une amitié, d’un attachement, d’une fraternisation.

«C’est une job que tu fais avec moi, ta job, pas d’autres choses. Je ne veux pas que tu vives un deuil quand je ne serai plus là. Tu dois continuer sans moi, je ne veux pas que tu aies des soucis», me dit-elle.

Au fur et à mesure que Lisa me débite d’une traite tous les motifs et les raisons pour lesquels il ne faut pas devenir des amies, elle devient de plus en plus bouleversée.

«Tu me vois toute belle, tu ne connais pas mes défauts. On s’est rencontrées, toi et moi, dans des circonstances bien particulières.»

Je le sais.

Elle ne veut pas me faire de la peine.

Lisa craint avant tout le deuil que j’aurai à faire si je la vois mourir.

Les émotions sont au centuple dans la chambre.

Je supplie un tout petit peu.

Je sais que je ne devrais pas, alors j’espère que si j’insiste au moins une fois, j’aurai de la chance.

«Lisa, au moins une fois. Laissez-moi venir vous revoir une seule fois, sans calepin, sans mon chapeau de journaliste. Une dernière fois.»

Lisa acquiesce et me donne l’autorisation.

Quelque chose a changé entre elle et moi.

Nous regardons ensemble l’offre des salons funéraires.

La vie n’est pas banale.

La vie est même frappante.

Lisa est saisissante.

Elle est unique.

Dans son tiroir qui fait aussi office de table de chevet, elle sort une boîte de chocolats aux biscuits Oréo. Nous nous bourrons un peu de mauvais gras, le tout arrosé d’un coca-cola. À vrai dire, on s’en fiche un peu, n’est-ce pas?

Elle se lève puis revient avec trois photos d’elle.

Celles qui paraîtront à son décès.

Elle me les dédicace toutes.

Je garderai pour moi ce qui est écrit…

23 février: ma 9e rencontre avec Lisa

25 février: ma 10e rencontre avec Lisa

2 mars: mon avant-dernière rencontre avec Lisa

4 mars: ma dernière rencontre avec Lisa

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