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Théâtre: les deux solitudes

Jean-Marc Dalpé et Elkhana Talbi dans (II) deux, une pièce au rythme soutenu, dont le texte est percutant et imagé.

Théâtre: les deux solitudes

Publié le 01/11/2012

Brutalité policière, abus de pouvoir, peur de l’autre, profilage racial, voilà autant de thèmes régulièrement abordés dans l’actualité d’ici comme d’ailleurs. Cependant qu’en est-il lorsque ces problématiques sociales s’infiltrent jusque dans l’intimité d’un couple?

Telle est la prémisse de (II) deux, pièce de Mansel Robinson mise en scène par Geneviève Pineault et présentée au Théâtre Lionel-Groulx le 28 octobre dernier, une œuvre tournant autour de l’islamophobie post 11 septembre et de la paranoïa collective issue de la guerre au terrorisme.

On y retrouve Mercier (Jean-Marc Dalpé, qui a également traduit le texte original) et son épouse Maha (Elkhana Talbi), deux individus, deux trahisons, deux solitudes au sein d’un couple qui semblait filer le parfait bonheur.

Lui, policier canadien de race blanche, elle, plus jeune, médecin et musulmane. Après leur rencontre lors d’un voyage de Mercier en Tunisie, Maha décide de commencer une nouvelle vie avec lui au Canada. Forcée d’abandonner sa pratique médicale, elle ouvre une boutique où elle offre l’artisanat de femmes des quatre coins du monde, ce qui l’incite à voyager de façon régulière. Mercier continue son petit bonhomme de chemin dans la police, amoureux et apparemment insensible aux plaisanteries de ses collègues sur les supposées implications terroristes de Maha.

Cependant, les choses déraillent et ces insinuations se frayent lentement mais sûrement un chemin dans l’esprit de Mercier, teintant de scepticisme et de paranoïa sa relation avec Maha, en empoisonnant le quotidien jusqu’à l’aveugler et lui faire commettre l’irréparable. Il est vrai que celle-ci lui cache quelque chose, mais son secret est d’une toute autre nature…

Dans une scénographie aride et inhospitalière baignée d’une lumière crue, les éléments de l’intrigue sont révélés au compte-gouttes. Construite comme un suspense, la pièce est présentée à la manière d’un montage cinématographique en parallèle. Tour à tour, le mari et la femme, dans deux salles séparées par une ligne imaginaire, nous livrent leur version des faits, l’escalade de mensonges, de doutes, de non-dits ayant mené au meurtre de Maha de la main de Mercier.

Le récit est également fragmenté de manière temporelle, lui répondant à un interrogatoire policier après l’homicide, tandis qu’elle dépeint les évènements l’ayant précédé, avouant sa propre faute, celle d’être tombée amoureuse d’un autre homme lors d’un voyage d’affaires. Les protagonistes se réunissent parfois au centre, espace neutre pouvant représenter tous les lieux, afin de recréer leurs souvenirs ou illustrer certains passages d’une manière plus concrète que le monologue.

(II) deux est une pièce courte au rythme soutenu dont le texte est percutant et imagé. Chacun des personnages tient un discours politique que l’on trouve parfois sensé, qui fait parfois grincer des dents, mais qui est écrit de telle façon que l’on peut facilement se mettre dans la peau de l’un comme de l’autre. On comprend, culturellement, fondamentalement, ce qui pousse Mercier et Maha à prendre ces positions. Rien n’est tout noir ou tout blanc dans (II) deux, pièce qui nous tient en haleine et suspendu aux lèvres des comédiens, tout en alimentant nos réflexions, bousculant notre façon de voir «l’autre».