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La logique des puissants

La Logique Des Puissants

La logique des puissants

Publié le 21/10/2017

Entre les puissants et les gens ordinaires, il y a un fossé que seuls la littérature et le théâtre peuvent parfois combler, en nous menant en des lieux, des zones où nous n’aurions autrement pas accès. Sinon, comment saisir l’esprit tordu de ceux et celles qui s’arrogent le droit de vie ou de mort sur leurs semblables?

Entre les puissants et les gens ordinaires, il y a un fossé que seuls la littérature et le théâtre peuvent parfois combler, en nous menant en des lieux, des zones où nous n’aurions autrement pas accès. Sinon, comment saisir l’esprit tordu de ceux et celles qui s’arrogent le droit de vie ou de mort sur leurs semblables?

C’est l’histoire d’une mort annoncée que nous ont racontée les huit finissantes en interprétation de l’Option-Théâtre de Lionel-Groulx, qui présentaient la pièce Marie Stuart, de Darcia Maraini, la semaine dernière au studio Charles-Valois, alors que le destin de la reine d’Écosse tiendrait entre les mains d’Élisabeth 1 pendant 90 minutes, chacune bénéficiant d’un temps de parole équitable, comme dans les grands débats, tout juste avant que la hache du bourreau ne s’abatte sur le cou dénudé de Marie, convaincue jusqu’à son dernier souffle que le trône d’Angleterre lui revenait.

Dynamiser le discours

Dans ce genre de spectacle où le seul discours tient lieu d’action, il fallait éviter les écueils d’une certaine lourdeur, ce à quoi l’on est parvenu grâce à cette idée du metteur en scène Michel-Maxime Legault de transposer la discussion dans l’arène sportive: un gymnase à l’aspect lugubre, théâtre d’un affrontement intense entre deux équipes mettant en lice quatre Marie contre autant de reines vierges.

Dans cette dynamique où, d’une réplique à l’autre, chaque actrice serait successivement reine ou suivante, on s’est passé la parole comme on l’aurait fait d’un ballon, ce qui maintiendrait, dans les rangs du public, le même niveau d’alerte que devant une joute sportive.

Davantage politique, celle qui s’est déroulée devant nous s’est tissée sur le canevas d’une parole abondante, violente, riche et chargée d’histoire. Les interprètes qui portaient cette parole, certaines mieux que d’autres, avaient de lourdes et profondes répliques à assumer, des personnages gigantesques à endosser, elles étaient engagées dans une sorte de marathon qui commandait une énergie soutenue, même dans l’ombre, même à l’affût, pour être prêtes à attaquer à tout moment.

Les règles de la joute politique

Collectivement, elles ont bien rendu cet affrontement qui opposait les deux reines logeant aux antipodes, l’une (Élisabeth) réclamant qu’on lui mente pour satisfaire sa vanité, l’autre exigeant qu’on lui dise la stricte vérité, sur tout comme sur elle-même.

Il ressortait de cette discussion à distance que si l’une (Marie) était tenue prisonnière par l’autre, toutes deux vivaient le même enfermement, chacune ne pouvant se voir que dans le regard des autres, chacune ne connaissant du monde extérieur que ce que les autres pouvaient leur en dire.

On ne saurait dire si cela vient de cette perte de contact avec la réalité, mais dans cette pièce (et il y a peut-être une certaine parenté avec la joute sportive de la vraie vie), tant Marie qu’Élisabeth se livrent cette lutte acharnée en obéissant aux mêmes règles implacables, à un code qui échappe au commun des mortels et qui fait voir la fatalité comme une fin, celle qui justifie les moyens et qui façonne la logique des puissants.